La multitude de styles et de tendances qui caractérisent la modernité littéraire et artistique en Allemagne à la fin du XIXe siècle a de quoi dérouter : impressionnisme, symbolisme, esthétisme, décadence, fin de siècle, néoromantisme, Jugendstil sont autant de courants qui se croisent, se recoupent et parfois se confondent, tant et si bien que, dans les dictionnaires et les encyclopédies de la littérature allemande, les mêmes motifs, les mêmes écrivains se trouvent souvent mentionnés sous ces diverses rubriques, sinon énumérés dans des listes hétérogènes. L’effervescence de ces notions concurrentes – qui n’est d’ailleurs pas un phénomène spécifique à l’Allemagne et s’impose dans l’ensemble de l’Europe littéraire – fait obstacle à une délimitation précise de la décadence allemande ; la multiplicité troublante des auteurs qui y sont associés, de près ou de loin, la difficulté à la circonscrire dans l’espace et dans le temps, mais aussi l’absence de textes programmatiques et de groupes constitués sont susceptibles de décourager l’observateur en quête d’unité et de cohésion. Il semble possible de remédier, au moins en partie, à ces difficultés en considérant la décadence en Allemagne selon une double perspective, c’est-à-dire non seulement comme une tendance littéraire qui aurait emprunté un nombre considérable de motifs et de traits stylistiques aux auteurs décadents français, mais aussi comme un discours critique sur la notion elle-même, aux ramifications diverses, qui se constitue au début des années 1890, en particulier dans les revues littéraires de l’époque, et contribue à en délimiter les enjeux conceptuels et esthétiques.